OU « J’ai envie que la vie, elle soit plus colorée ! »
Il présente Baise-en-Ville, à la Semaine de la Critique. Nous avons rencontré à Cannes Martin Jauvat, le nouveau prince de la comédie d’auteur française. Avec ce second long-métrage, plus ambitieux, Martin Jauvat l’annonce d’emblée : il a voulu relever un « défi »
Comment présenteriez-vous ce nouveau film, Baise-en-Ville ?
C’est l’histoire d’un garçon qui rentre dans sa banlieue pavillonnaire natale, qui retourne vivre avec sa famille suite à une déception amoureuse, et qui traverse une période de doute existentiel, de léthargie. Il décide de se ressaisir sur l’impulsion de sa mère qui lui confisque le bouchon de la baignoire, et il s’inscrit à des cours pour préparer le permis de conduire. Mais à ce moment là, il se retrouve bloqué dans un paradoxe : il a besoin d’un taf pour payer son permis, mais il a besoin du permis pour trouver un taf. Voilà, le film commence comme ça.
Ce personnage, il vous ressemble d’une manière ou l’autre ?
Oui, on est très, très proche. C’est inspiré d’un moment de ma vie personnelle, il y a trois, quatre ans, je dirais. J’ai vécu à peu près la même chose. Ma copine est partie vivre à l’étranger et je suis retourné dans le pavillon familial. Mes parents bossaient encore à l’époque. J’étais toute la journée tout seul, au chômage. Je passais mes journées avec mon chat, je buvais trop. Je foutais rien. J’étais un peu déprimé, je crois. À un moment, je me suis ressaisi et je me suis inscris au permis de conduire. Je me suis mis à faire du code avec des gens qui avaient 10 ans de moins que moi toute la journée. Puis j’ai fait de l’intérim et je me suis retrouvé dans des endroits absurde à faire des tafs dingues, qui n’avaient aucun sens. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de fantaisie là-dedans. Le temps a passé, et je me suis dit que cette histoire banale était peut être aussi universelle, et avait un bon potentiel de comédie.
Les parents qu’on voit dans le film, ils sont proches de vos parents, ou vous avez cherché quelque chose de plus universel ?
C’est un mix, je dirais. Je me suis inspiré de mes parents. Mais j’ai un peu forcé le trait, notamment pour mon papa. Mon père, il est décontracté, mais il n’est pas à ce point ! Ma maman, par contre, elle ressemble pas mal.
Ils ont vu le film ?
Pas encore. Ils sont avec moi à Cannes, ils vont le voir à la première projection. J’ai un peu peur, ça va être émouvant. Il y a des trucs que je dis dans le film, que je n’ai pas forcément réussi à les dire dans la vraie vie. Donc, ça me gêne un peu…
Vous abordez en effet des sujets forts. Le personnage que vous incarnez, par exemple, est un jeune homme qui est pas à l’aise dans sa sexualité…
J’avais déjà un peu abordé ce sujet dans un court-métrage qui s’appelle Le Sang de la Veine. Je trouve que c’est un poil rétrograde, dépassé, cette idée que les garçons veulent absolument baiser. Que, coûte que coûte, ils sont toujours prêts. Moi, je ne suis pas du tout comme ça. Je ne prends pas du tout la sexualité à la légère. Je ne suis pas trop dans la consommation sexuelle à tout prix, ce qu’on vend beaucoup via les applications de rencontres maintenant, ou cette libération sexuelle à la « années 1970 ». Je suis très fleur bleue, très romantique, presque à l’ancienne. Je crois vachement à l’amour. Et, je suis pas un gars pour qui la sexualité, c’est quelque chose d’évident. J’avais envie de parler de ça parce que ça me permet aussi de montrer d’autres formes de masculinité, plus contemporaines, et de faire un film qui me ressemble. Un film sensible, parfois maladroit, qui doit déconstruire plein de choses sous l’influence d’une virilité dépassée.
Vous évoquiez Le Sang de la Veine. C’est un film qui s’inscrit dans la continuité de vos premiers courts et de Grand Paris, votre premier long ?
C’est le même ton. J’ai la même bienveillance pour les personnages, j’essaie d’avoir le même genre d’humour. Mais en même temps, j’ai eu envie d’un film différent, Moi, je change aussi. Je grandis, je vis de nouvelles expériences. Je suis trop jeune pour commencer à me redire, mais j’essaie de prendre des risques. J’ai l’impression d’avoir pris un gros risque sur ce film-là.
On retrouve aussi votre passion pour les acteurs. Là, il y a beaucoup d’acteurs qu’on reconnaît, des habitués de vos films ou des nouveaux, des comédiens professionnels ou des acteurs pour l’occasion, comme Michel Hazanavicius ou Aurélien Bellanger. Et toujours des personnages très bien croqués. Qu’est ce qui vient d’abord, l’idée d’un acteur ou l’idée d’un personnage ?
C’est un mélange des deux. J’ai ma famille d’acteurs, d’actrices. Je vais forcément écrire un rôle à William Lebghil, à Sébastien Chassagne, à Mahaut Adam, à Anaïde Rozam. Et puis moi aussi, j’ai envie de jouer. Je sais que je vais m’écrire un rôle. À la base, je ne devais pas jouer un rôle aussi important. C’est mon producteur qui m’a dit que c’était bien d’en faire un peu ma signature ou ma marque de fabrique, et il m’a motivé à prendre le rôle principal. Je dois dire que j’ai pris un plaisir dingue à jouer ce personnage. Pour d’autres rôles, c’était plus compliqué. C’est Anaïde Rozam, qui m’a soufflé l’idée d’Emmanuelle Bercot. Je l’a connaissais très mal, je crois même n’avoir jamais vu un film avec elle. Alors on a pris un café, et au bout de dix minutes, je lui ai dit: tu veux jouer dans le film ? Proposition ferme, direct. Elle est énorme.
Vous parlez de votre producteur, Emmanuel Chaumet. Depuis votre premier court-métrage produit, tout vos films, vous les avait fait avec lui. Est-ce qu’après le succès critique de Grand Paris, c’était une évidence de continuer avec lui ? Vous n’avez pas eu de propositions d’autres producteurs ?
J’adore Chaumet. Il est venu me faire confiance, à un moment où je n’avais fait que deux courts métrages autoproduits, qui étaient passés dans zéro festival. Tout le monde s’en foutait. Et lui, il a aimé ces films et il s’en foutait qu’on s’en foute. Il aime bien parfois être opposé au reste du monde. Moi, j’avais lâché l’affaire du cinéma. Je reprenais d’autres études, je cherchais un autre taf. Mais Emmanuel Chaumet m’a fait confiance, m’a soutenu et on s’entend super bien. Je l’aime, franchement, on est super proches. Il me laisse faire absolument ce que je veux. Il discute avec moi quand même, on réfléchit ensemble. Quand il trouve un truc un peu déconnant, il m’en parle et j’estime vachement son avis. En même temps, quand je suis sur un truc, même si c’est galère, il va me soutenir, m’aider à le faire. Et pour l’instant, ça nous a réussi.
Vous parliez du fait que certains personnages vous ressemblent. C’est vrai aussi au niveau du look, des costumes, qui sont toujours très travaillés ?
Moi, j’aime beaucoup le sportswear. J’adore les maillots de foot, c’est ma passion. Je trouve ça vachement beau comment des gars très virils peuvent mettre du rose fluo quand c’est un maillot de foot. Ils n’ont pas de problèmes pour aller vers des couleurs qui sont un peu pink, un peu kawaii, très « girly ». Si c’est un maillot de foot, ça passe. Ou alors des trucs de motocross. Ça, ça me touche vachement. Je trouve que les maillots de foot permettent de réenchanter la vie parce que sinon, tout est gris, tout est noir. Si tu regardes, le spectre chromatique s’est resserré au fil des décennies. L’architecture, elle est laide, elle est grise, tout est terne. Nous, on est là avec nos maillots de foot et on redonne un peu de couleur à la vie. Moi, je suis grave nul en mode. Des fois, on me dit que c’est n’importe quoi mes accords de couleurs. J’aime juste quand ça pète, quand c’est flashy. J’aime la BD, j’aime Miyazaki. Dans Le château de Cagliostro, les nuits, elles sont violettes, les mecs, ils sont verts. C’est magnifique. Moi, j’ai envie que la vie, elle soit plus colorée.
C’est aussi une comédie qui s’adresse à une nouvelle génération, comme en témoigne le pré-achat de Netflix…
Moi, je suis hyper attaché à la salle. En même temps, bien sûr, je regarde des films sur Netflix. J’avais 20 ans quand Netflix a débarqué en France. J’aimerais beaucoup toucher les fans de Netflix comme de la la salle. J’ai envie de faire une comédie populaire. C’est mon but absolu. En vrai, j’étais assez surpris que Netflix soit motivé et partant, qu’ils aient aimé Grand Paris. Mais en même temps, Grand Paris, c’est un film que j’avais fait pour être vu avec mes potes, à 2h00 du mat, avec un petit joint, sur Netflix !
Baise-en Ville est aussi un film sur la banlieue, comme tout vos films précédents. Mais ce n’est pas l’imaginaire de la banlieue que l’on connaît habituellement en France. C’est plus une banlieue à l’américaine…
Exactement. Je suis banlieusard, mais je ne me suis jamais reconnu dans les films comme La Haine ou Les Misérables. Je suis issu d’une classe moyenne plutôt aisée, de banlieue pavillonnaire. J’ai vécu dans une ville où il y a des champs, des barres d’immeuble et des villas de millionnaires sur les bords de Marne. Moi, je suis pile au milieu de toutes ses classes sociales qui se croisent en banlieue. C’est vrai que c’est mon ressenti beaucoup plus proche des films comme SuperGrave, Frangins malgré eux, ou même Donnie Darko. Des films où on voit une banlieue tranquille, où il ne se passe pas grand-chose. Tous les pavillons se ressemblent. Cette atmosphère me parle beaucoup.
Et l’idée de créer des aventures au sein de petites vies quotidiennes…
Exactement. Mais contrairement à Grand Paris, dans Baise-en-Ville, il y a pas de fantastique. C’est pour ça que je suis à poil sur ce film. Je n’ai pas cette aide du fantastique qui peut venir me donner un peu de folie. Là, je dois me débrouiller avec moi-même. Ça me fait un peu peur, et ça m’excite moins comme spectateur aussi, mais j’ai vraiment voulu essayer quelque chose de différent. J’aurais trouvé ça gratuit de me dire que d’un coup, il y a un extraterrestre ou de la magie, ou je ne sais pas quoi. Ce film-là, il n’est pas comme ça. Mais le prochain, je pense que oui, parce que c’est ce qui me fait vibrer.