En scénographe, elle dessine des synopsis associant photographie et peinture sur verre, pour faire danser ses apparitions mises en scène dans l’étrangeté de ses décors. Ses clichés sont l’écran où se projettent nos rêves.

La pratique artistique de Corinne Mercadier bascule en 1980, avec sa découverte du Polaroid SX-70, qui fait de la photographie son médium de prédilection – sans qu’elle abandonne jamais le dessin. Elle est séduite par le rendu très graphique des clichés, dont le grain est proche de celui du pastel, et dont les couleurs fortement contrastées créent une distance avec le sujet. D’emblée, elle imagine des mises en scène et adopte le principe de la double prise de vue, des procédés qui caractérisent tout son travail ultérieur. En photographiant son premier sujet, qui se résume à une captation d’image, elle l’enrichit d’un éclairage personnel, au propre comme au figuré. Travaillant par série, elle s’intéresse d’abord aux paysages, auxquels elle intègre des personnages interagissant avec des objets, mais aussi aux objets isolés irradiant une aura lumineuse, aux architectures qui constituent un élément fondamental de ses mises en scène, aux toits et au ciel…
Avec ses Glasstypes de 1987, elle introduit une nouvelle technique minutieuse dans sa démarche : les peintures sur verre aux couleurs presque « vitrail », photographiées au Polaroid. Passionnée d’histoire de l’art, elle s’inspire alors de la fresque de l’Annonciation réalisée par Giotto (1266 ou 1267-1337) dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue, transformant les architectures du peintre avec ses clichés.
L’an 2000 marque un nouveau tournant, avec le début de ses prises de vue en extérieur, nécessitant une scénographie plus élaborée. Dès lors, ses idées prennent forme dans ses carnets de dessin où elle modélise ce qu’elle désire voir. Pour ses mises en scène, elle fabrique elle-même les objets et les costumes de ses personnages, qui prennent la pose depuis la série Une fois et pas plus, comme perdus dans leurs rêveries. Si tout est calculé et dessiné, Corinne Mercadier invite néanmoins le hasard sur la pellicule en jouant avec le temps de pose du premier cliché. Elle crée ainsi des « événements », à l’image des effets engendrés par ses objets lancés, images flottantes indéfinissables et fantomatiques, symbolisant le destin de ses personnages. En atelier, elle retravaille ensuite les lumières pour théâtraliser les images, et réalise alors des photographies Polaroid en couleur à partir de prises de vue au Leica en noir et blanc.
Avec le passage au numérique, en 2008, elle poursuit ses expérimentations dans la continuité du Polaroid, retravaillant ses photographies en post-production sur Photoshop pour jouer avec la chromie et la lumière, obscurcissant ses ciels comme elle aime le faire depuis ses débuts, et ombrant ses scènes. Elle obtient ainsi des atmosphères intersidérales où ses personnages semblent confrontés à leur destin, ou encore inverse les valeurs dans des lieux à l’abandon, où des formes rayonnent de lumière là où l’œil s’attendrait à voir des ombres. Si chaque élément de la composition est immédiatement reconnaissable, leur association incongrue dans une lumière étrange génère un décalage avec le réel, et crée la sensation d’une image mentale. En leitmotiv de ses synopsis, on retrouve volontiers une image frontale, une perspective classique, un personnage, un objet lancé, un costume et une lumière. Dans sa série La Nuit magnétique, en 2022-2024, les êtres humains sont remplacés par des « formes informelles », mettant en exergue son intérêt pour la danse. Partant d’un décor intérieur inhabité qu’elle photographie, elle imagine ce qui pourrait s’y produire, elle crée des apparitions en forme de nuages et de fumées dansantes peintes sur verre. « C’est un peu comme si j’étais régisseuse lumière dans un théâtre », confie l’artiste, qui crée la dramaturgie en mettant leur mouvement en scène. Avec ses constructions visuelles sophistiquées ouvrant les portes de mondes imaginaires à la poésie étrange, Corinne Mercadier nous invite dans un rêve éveillé.
Représentée par la Galerie Binome
Corinne Mercadier a publié la plupart de ses livres aux éditions Filigranes : Où commence le ciel ?, Dreaming Journal, La suite d’Arles, Devant un champ obscur, et une monographie.
filigranes.com/artiste/mercadier-corinne/
Liens podcasts :
open.spotify.com/episode/0ZGf9258K0noiKCKl3X8Jd
francefineart.com/2024/12/22/3584_corinne-mercadier_galerie-binome
francefineart.com/2022/05/18/3259_corinne-mercadier
artvisions.fr/fr/portfolio-item/corinne-mercadier-paris-galerie-binome-du-14-mai-au-16-juillet-2022