L’HUMOUR COMME MOYEN DE VIVRE – ABRAHAM WAPLER

Il arrive en retard, souriant, s’excuse à moitié. Un peu mal réveillé, mais très présent. On est là pour parler cinéma, évidemment. Et de famille, d’héritage, de comédie, de liberté surtout.

Comment en es-tu venu au cinéma ?

Je viens d’une famille de cinéma, c’est clair. Mes parents se sont rencontrés en cours de théâtre. Ma mère était comédienne. Donc j’ai été plongé là-dedans très tôt. Et quand elle ne pouvait pas me garder, je traînais en coulisses pendant qu’elle jouait. Mon père bossait dans la restauration. Avec mon frère et mes cousins, on faisait des petits films pendant les vacances, des trucs à la con, genre Le maléfice du Chanois. Ça a toujours été là.

Ton frère est aussi comédien ?

Pas du tout. Il est en médecine maintenant, il a fait une reconversion. Mais on a toujours fait des trucs ensemble. Lui voulait plutôt réaliser.

Et toi ?

Moi, j’étais le clown de service. Mauvais élève, en surpoids… Donc drôle, forcément. C’était ma survie sociale. J’étais « le gros marrant », tu vois. Et puis, un jour, ça m’a frappé, j’ai pensé que je pourrais peut-être en faire un métier. Quand ma mère est décédée, je me suis dit que je pouvais reprendre le flambeau, à ma manière.

Tu n’as jamais eu le complexe du « fils de » ?

Un peu. Pas un blocage, mais disons que ça m’a empêché de me sentir libre au début. Je ne me disais pas à 14 ans « Je veux être acteur ». Mais c’était là, latent.

Et l’humour, c’était évident ?

Ouais. Moi, j’ai grandi avec les comédies américaines. Les frères Coen, Judd Apatow, Steve Carell, Jim Carrey… The Mask, tu vois. Très physique, très visuel. En France, on n’a pas vraiment cet équivalent. Peut-être Louis de Funès. Un monstre. Mais aujourd’hui, il passerait peut-être pour un type « ringard », alors que c’est un génie.

Tu dis que tu es snob. Peux-tu préciser ?

Je suis exigeant, on va dire. J’ai besoin de croire en ce que je fais. J’ai déjà bossé sur des projets où je n’avais pas envie d’être là. Et j’ai été malheureux sur le tournage. Aujourd’hui, je sais que je ne le referais plus.

Tu pourrais faire un gros film juste pour l’argent ?

Plus maintenant. Ou alors il faut que le scénario me plaise vraiment. J’ai fait assez de projets alimentaires. Aujourd’hui, je veux être fier de ce que je tourne.

Tu crois aux premiers films ?

À fond. Même un mec qui n’a jamais rien fait, si la personne a un super scénario, je fonce. Il y a un truc très fort quand tu sens qu’un réalisateur va révéler un univers. C’est un peu le « syndrome du directeur de casting » : t’as envie de découvrir quelqu’un avant tout le monde.

Tu penses que l’argent tue la créativité ?

Pas toujours. Regarde Tarantino. Mais c’est souvent l’entourage qui change tout. Plus t’as de thune, plus t’as de gens autour, et plus ta vision peut se diluer. Et puis, quand t’as trop de moyens, tu oublies parfois l’essentiel. Moi, j’aime les contraintes ; les tournages à l’arrache, avec peu de moyens, où tu dois rester vrai.

Tu te sens protégé sur les plateaux ?

Oui, totalement. On est chouchouté. Parfois trop. Il y a un côté infantilisant : tu vas aux toilettes, il y a un assistant qui te suit. On te garde à l’œil, comme si on était tous de potentiels fugitifs. C’est absurde, mais c’est aussi rassurant.

Tu as vu Making Of de Cédric Kahn ?

Ouais, je l’ai adoré. Ça montre tout ce qu’on ne voit jamais, toutes les galères en coulisses. Jusqu’au moment où tu dois dire aux comédiens : « Y a plus de thune. » J’ai connu un tournage comme ça. Le film ne sortira jamais. Tout est parti en vrille.

Aujourd’hui, tu es serein ?

Oui. Enfin… Je sais ce que je veux faire. J’ai mis dix ans à vivre du cinéma, et c’est que maintenant que ça commence à marcher. Mais je suis prêt. Je préfère ramer encore un peu que de me trahir.

Ta pire expérience ?

C’était à mes débuts, je bossais pas. J’avais une ligne de texte dans un plan-séquence, et je me suis planté. Le réalisateur m’a démonté devant tout le monde. Il a viré ma phrase. Je me suis retrouvé à faire de la figuration, alors que j’avais dit à tout le monde pendant des mois que j’allais jouer dans ce film. Je suis rentré chez moi, j’ai pleuré. Et j’ai décidé que ça n’arriverait plus. J’ai bossé deux fois plus.

Et ta meilleure expérience ?

Interrail. Mon premier rôle principal. Tournage dans sept pays, en train, avec des potes. J’avais 18 ans. C’était magique. Mais c’était un cadeau empoisonné : je pensais que tous les tournages seraient comme ça… alors que non.

Comment es-tu arrivé sur le film de Cédric Klapisch ?

Ça a commencé il y a cinq ans. Cédric réalisait une pub pour Cartier – il en a fait plusieurs, et là, il en faisait une nouvelle. J’ai passé les castings pour cette pub, ça s’est bien passé, j’ai eu le rôle. Et du coup, je me suis retrouvé à partir au Portugal. Franchement, expérience trop cool : un groupe de mannequins, hommes et femmes, tous frais payés, on tourne une pub Cartier avec Cédric Klapisch, des bijoux, du glamour, tu vois. Au final, la pub n’est jamais sortie – elle n’a pas été assez bien perçue, je crois –, mais au moins j’ai rencontré Cédric. Et on s’est super bien entendus.

J’ai passé quatre jours à discuter avec lui. Je me rappelle, il m’a dit : « Putain, tu me fais vraiment penser à François Civil, avec qui on a travaillé. » Je lui ai dit : « Écoute, si un jour t’as besoin de son petit frère ou quoi, tu m’appelles. » Et puis les mois, les années ont passé. Il a fait sa série Salade grecque. Il m’a demandé de lui faire une fausse vidéo de casting à intégrer dans une scène, avec Romain Duris et tout. Donc on est resté en contact. 

Et un jour, il préparait son nouveau film, et il a pensé à moi. Parce que c’est quelqu’un de très loyal, qui a une vraie vision. On avait cliqué. Il s’est dit : « Putain, j’aime bien l’énergie d’Abraham. » Et là, un soir, j’étais chez des potes, en train de mater un film, mon téléphone a sonné : Cédric Klapisch. J’ai fait : « Oh putain… Désolé, les gars, je dois prendre. » Il m’a dit : « Salut, comment tu vas ? Écoute, je voulais te proposer un essai pour un des rôles principaux. Tu serais dispo tel jour ? » Et voilà. Il m’a fait confiance. Je ne le remercierai jamais assez. Parce qu’en vrai, tu ne montes pas un film sur moi. Même aujourd’hui, je suis encore « personne », alors à l’époque, encore moins. Mais il a eu cette confiance.

Quand le réalisateur pense à toi dès le départ, ça change quelque chose dans ton rapport au rôle ?

Ouais, ça change un peu. Alors, il n’a pas écrit le rôle pour moi, hein. Et il a vu d’autres gens au casting. Mais je pense qu’il avait secrètement l’envie que ça marche avec moi. Et au final, ça a marché. Et puis moi, j’ai fait ma part du taf, je suis arrivé, j’ai bien joué, j’ai bossé. Il s’est dit : « Ok, c’est lui. »

Mais tu sais quoi ? Moi je préfère passer des castings plutôt qu’on m’offre un rôle. Enfin, si on m’offre un rôle, je veux quand même une séance de travail. Sinon, t’es fragile. Tu te demandes : « Est-ce que je peux le faire ? » Alors que si on bosse, si le réalisateur me dit « Je suis persuadé que tu peux le faire », là je suis en confiance.

Tu dis que tu es prêt à tout donner pour un bon réalisateur. Tu poses quelles limites ?

Avant Cédric, j’étais plutôt de l’école « Je suis prêt à me faire malmener pour sortir des émotions ». Mais avec lui, j’ai appris qu’on peut bosser dans la bienveillance et aller tout aussi loin.

Après, je suis prêt à me brûler un peu les doigts pour un film. Comme Heath Ledger dans The Dark Knight, tu vois. Mais ça, c’est toi avec toi-même. Pas le réalisateur qui t’y pousse. À moi, tu peux me dire : « Ça marche pas. Recommence. » Pas de souci. Je propose autre chose. Mais si tu me dis : « T’es nul. » Là, non. Là, c’est ton ego à toi qui parle. Pas ton exigence.

Et là, en ce moment, tu bosses sur quoi ?

Plein de trucs. Déjà, Star Wars – Andor saison 2. J’ai un rôle de rebelle, avec un petit groupe de Français. On a vraiment un délire « Résistance française » vu par les Ricains. J’ai tué un robot, j’ai sauvé Cassian. C’est cool. Ensuite, il y a Young Millionaires, la nouvelle série d’Igor Gotesman (Five, Family Business), qui sort sur Netflix le 13 août.  J’ai aussi tourné Les Saisons, une série Arte / HBO, écrite par Nicolas Maury. Un truc très auteur, très émotif. Là, je peux montrer que je peux pleurer aussi. Et puis, un petit rôle dans un film d’Alexandre Steiger. Et là, en août, on tourne une série avec Paul Mirabel, pour Amazon. Ça va être marrant.

Merci pour tout ça. Tu as des vacances au moins ?

C’est ric-rac ! Mais ouais, je vais essayer de m’évader un peu avant la rentrée.

ACTEUR : Abraham Wapler

PHOTOGRAPHE : François Berthier

DA / STYLISME : Flora di Carlo

HAIR ARTIST : Léonie Chipier

MAKEUP ARTIST : Anastasia Roges

ASSISTANTES PRODUCTION : Tanja Aksentijevic & Arianna Tonon

AGENT : Julia Bossard Agence

CONTACT LIEU : Hôtel Balzac Paris & Spa Ikoï

CRÉDITS VÊTEMENTS : Full Looks : Dior – Bijoux : Fred 

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