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Biennale de Venise 2024 : une cuvée hors des sentiers battus

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Du 20 avril au 24 novembre, le rendez-vous mondial de l’art sonde la notion d’étranger à travers le globe, donnant la voix aux artistes autochtones et de la communauté LGBTQIA+, sous-représentés.

© EClryéldai (tMsanágua, Nicaragua, 1989 – Lives in Manágua), Torita-encuetada (2023)

Cette 60e édition intitulée « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere » fait office de grande première à bien des égards. La programmation se fait un hymne aux « immigrants, expatriés, diasporiques, émigrés, exilés et réfugiés ». Elle s’annonce même comme un défi dans un contexte sociopolitique et historique de plus en plus extrême. Cette année, 332 artistes sont représentés, issus de 90 pays dont quatre participent pour la première fois (Bénin, Éthiopie, Tanzanie, Timor-Leste) et trois via leur propre pavillon (Nicaragua, Panama, Sénégal). Une hausse nette, en comparaison avec les 213 artistes présents en 2022. 

À la tête de cette sélection éclectique 2024 : Adriano Pedrosa. Le Brésilien de 59 ans devient le premier commissaire latino-américain à occuper cette fonction. L’approche progressiste de cet actuel directeur du Musée d’Art de São Paulo (MASP) s’est toujours concentrée sur différents types de marginalités socioculturelles, concevant des expositions phares, notamment celles de la Biennale de São Paulo (1998 et 2006) et d’Istanbul (2011). Sa série au long cours Histórias a révolutionné le MASP, fondé par le magnat de la presse Assis Chateaubriand, en sondant les thèmes de l’enfance, de la sexualité, de la diaspora africaine, du féminisme et des complexités de l’histoire brésilienne. Pas étonnant donc que sa vision curatoriale étende la portée de la Biennale de Venise.

© © Jack Hems – John Akomfrah, Listening All Night To The Rain, British Pavilion, 60th International Art Exhibition of La Biennale di Venezia, 2024
© Marco Zorzanello – Marco Scotini, Disobedience Archive

Des étrangers partout

Le titre de cette moisson de découvertes, réparties entre les Giardiani et l’Arsenal, dérive des œuvres du collectif Claire Fontaine, créé en 2004 à Paris et basé à Palerme. Une série de sculptures en néons de différentes couleurs qui déclinent dans toutes les langues les mots « Stranieri Ovunque » (« Étrangers partout »). L’expression tire quant à elle son nom d’un collectif turinois qui luttait contre le racisme et la xénophobie en Italie au début des années 2000. Pour Adriano Pedrosa, elle a une double signification : « Tout d’abord, où que vous alliez et où que vous soyez, vous rencontrerez toujours des étrangers : ils/nous sommes partout. Deuxièmement, peu importe où vous vous trouvez, vous êtes toujours véritablement et au plus profond de vous un étranger. » 

Ce paradigme diversifie ainsi les voix du monde, se scindant en deux noyaux : contemporain et historique. La première section est dédiée aux artistes qui vivent en marge et sont persécutés, non seulement pour leur orientation sexuelle, mais aussi pour leur esprit artistique libre et alternatif. Qu’ils soient donc queer, outsiders ou indigènes. Un segment sonde également les Archives de la Désobéissance (Disobedience Archive), projet de Marco Scotini, et la diaspora artistique italienne qui comprend 40 artistes, dont l’architecte Lina Bo Bardi. Il est question ici de ceux qui ont voyagé et déménagé à l’étranger, développant leur carrière en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans le reste de l’Europe. La seconde est constituée d’œuvres du XXe siècle provenant d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie et du monde arabe. Elle met aussi en lumière l’histoire des modernismes largement méconnus des pays du Sud. 

Deux sections engagées, féministes, queer, anticolonialistes et ouvertes sur le monde pour une édition hors normes, portée par 88 pavillons nationaux.

© Jacopo La Forgia

Pavillon français : Julien Creuzet

Il s’agit là d’un épisode historique. Pour la première fois, c’est un artiste franco-caribéen qui vient porter haut les couleurs du pavillon français. Son travail a été choisi pour sa « poésie infusant une pluralité de pratiques entre sculpture, vidéo, musique, performance et nouvelles technologies ». Une œuvre polyphonique entre récits, histoires marginalisées, héritages et matières. L’artiste plasticien, vidéaste, performeur, poète et chef d’atelier aux Beaux-Arts de Paris avait annoncé en février dernier son projet vénitien au Diamant, en Martinique, où il a grandi. Il offre une « expérience immersive et multisensorielle, une plongée dans les formes, les matières et les refrains, une rencontre avec des symboles et des chimères issus de longues mutations ». Jeune espoir de la scène contemporaine française, nommé pour le prix Marcel Duchamp en 2021, Julien Creuzet est aujourd’hui reconnu à l’échelle internationale.

© Timothy Schenck – Installation view of the space in which to place me (Jeffrey Gibson’s exhibition for the United States Pavilion, 60th International Art Exhibition
– La Biennale di Venezia), April , 20 – November 24, 2024. – Center: WE HOLD THESE TRUTHS TO BE SELF-EVIDENT (2024)

Pavillon américain : Jeffrey Gibson

L’événement fait également date. Ce natif du Colorado devient le premier artiste d’origine amérindienne à représenter les États-Unis à la Biennale de Venise. D’origine Cherokee et membre de la communauté indienne de Choctaw du Mississippi, Jeffrey Gibson s’est rendu célèbre grâce à ses peintures et sculptures aux couleurs vives. Un travail qui combine les histoires américaine, autochtone et queer avec des influences musicales et pop, plaidant pour un élargissement de l’accès à la démocratie et à la liberté pour tous. Dans sa pratique, il mêle artisanat indien (perlage, tissage), travail sur le métal, procédés picturaux (art abstrait, pop art) et modernisme occidental. L’exposition « the space in which to place me » rassemble ainsi sculptures, vidéos, peintures multimédias et sur papier afin d’explorer les dimensions de l’identité et les forces qui façonnent sa perception à travers le temps.

© Jack Hems – John Akomfrah, Listening All Night To The Rain, British Pavilion, 60th International Art Exhibition of La Biennale di Venezia, 2024

Pavillon anglais : John Akomfrah

L’artiste et cinéaste d’origine ghanéenne, installé à Londres, se fait quant à lui le porte-étendard du Royaume-Uni. Il a trouvé la reconnaissance dans les années 1980 au sein du Black Audio Film Collective (BAFC), un groupe de sept artistes fondé en 1982. Il est connu pour ses films d’art et ses installations vidéo multiécrans, qui sondent l’injustice raciale, la mémoire, l’héritage colonial, les identités diasporiques, la migration et le changement climatique. Sa participation à la Biennale de Venise remonte à 2019 avec l’œuvre Four Nocturnes, commandée pour le premier Pavillon du Ghana. Cette année, son exposition « Listening All Night To The Rain » au Pavillon anglais est une installation composée de huit œuvres sonores et temporelles multiécrans imbriquées et superposées. Elle se veut un manifeste de ses thèmes récurrents, mettant l’accent sur le son, l’acte d’écoute et les théories de l’acoustémologie.

© La Biennale di Venezia _ Peruvian Pavilion _ Cosmic Traces by Roberto Huarcaya

Lumière sur les pays du Sud global

La République du Bénin fait son entrée dans la Biennale, avec pour thème « Everything Precious is Fragile ». Le curateur et critique d’art Azu Nwagbogu met en avant la richesse et la diversité de la scène artistique africaine, s’aventurant dans les domaines contemporains avec la philosophie Gèlèdé. Les œuvres de Chloé Quenum, Moufouli Bello, Ishola Akpo et Romuald Hazoumè explorent ainsi les thèmes de la traite négrière, de la figure de l’amazone, de la spiritualité et de la religion Vodùn. Une présence béninoise forte qui s’inscrit dans le cadre de la restitution par la France de « 26 trésors royaux spoliés lors de la conquête coloniale du Royaume du Danxomè ».

© Jacopo La Forgia

Du côté du Pavillon du Pérou, c’est une figure majeure de la photographie qui vient incarner l’essence du pays. Le Péruvien Roberto Huarcaya offre à voir Cosmic Traces (Huellas Cósmicas), à la croisée de la photographie, de l’installation et du land art. Un sanctuaire immersif et éphémère, conçu pour éveiller la conscience, stimuler l’imagination et promouvoir la méditation. Dans cette installation figurent les Amazogramas, œuvre monumentale composée de photogrammes sur lesquels il travaille depuis près de dix ans, comme un enregistrement grandeur nature de l’Amazonie. Pour ce faire, il a déployé un rouleau de papier photosensible de 30 m sous un imposant palmier durant une tempête. Deux autres créations complètent ce chef-d’œuvre visuel : une sculpture d’un canoë de l’artiste Antonio Pareja et une composition pour piano de Mariano Zuzunaga.

© Giulia Andreani, Pretty Vacant (Diva Derelitta), acrylic on canvas , 130 x 97.5 cm.; 51 1/8 x 38 3/8 in, 2024

L’histoire italienne vue par Giulia Andreani

La peintre figurative, née à Venise et installée depuis quinze ans à Paris, expose aux Giardini ses nouvelles œuvres qui nous immergent dans les photographies oubliées de l’histoire italienne. Comme de coutume, l’image d’archive et les souvenirs personnels restent à la source de son travail de recherche documentaire, exhumant des photographies qui servent de support. À travers ses peintures et ses aquarelles à grande échelle, elle tisse des récits, des faits et des personnages au gris de Payne, un gris bleuté, agrémenté de petites touches de couleurs. Une véritable signature où tout reprend vie entre passé et présent pour mieux guider le futur. Ex-pensionnaire de la Villa Médicis, nommée pour le prix Marcel Duchamp en 2022, Giulia Andreani est représentée par la galerie Max Hetzler qui expose quatre autres artistes à la Biennale : Eddie Martinez, Beatriz Milhazes, Walton Ford et Leilah Babirye.

© Palazzo Grassi, Pinault Collection

« Liminal » de Pierre Huyghe à la Punta della Dogana

L’artiste plasticien, vidéaste et designer français continue de repenser les rapports entre humains et non-humains. Au cœur du musée d’art vénitien, il expose ses magnifiques créations inédites, accompagnées d’œuvres issues des dix dernières années dont certaines appartiennent à la Collection Pinault. L’exposition se transforme en un « état transitoire peuplé de créatures humaines et non humaines », mais aussi en un « lieu de formation de subjectivités qui ne cessent d’apprendre, de se modifier ou de s’hybrider ». Pierre Huyghe crée une interdépendance entre les événements et les éléments qui se manifestent. Il tente dès lors de remettre en question « notre perception de la réalité, comme si nous devenions étrangers à nous-mêmes, depuis une perspective autre que celle humaine/inhumaine ».

« Pierre Huyghe. Liminal » 
Punta della Dogana, Venise (Italie)
Du 17 mars au 24 novembre 2024
pinaultcollection.com

© Palazzo Grassi, Pinault Collection

« Ensemble » de Julie Mehretu au Palazzo Grassi

L’exposition de l’artiste plasticienne américaine, née à Addis-Abeba, en Éthiopie, rassemble une sélection de plus de 50 peintures et œuvres sur papier produites sur une période de vingt-cinq ans, incluant certains de ses travaux réalisés entre 2021 et 2024. Près de 20 œuvres de la Collection Pinault sont exposées sur les deux étages du Palazzo Grassi. La pratique de Julie Mehretu se nourrit « de l’histoire de l’art, de la géographie, des luttes sociales, des mouvements révolutionnaires et de la subjectivité de celles et ceux qui ont marqué ces grands domaines du savoir et de la création ». Pour répondre au titre, son travail s’accompagne d’œuvres de plusieurs de ses amis artistes, comme Nairy Baghramian, Huma Bhabha, Robin Coste Lewis, Tacita Dean, David Hammons, Paul Pfeiffer et Jessica Rankin.

« Julie Mehretu. Ensemble » 
Palazzo Grassi, Venise (Italie)
Du 17 mars 2024 au 6 janvier 2025
pinaultcollection.com

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