Fervent bonapartiste, Abel Gance a consacré quatre films au souvenir napoléonien, mais aucun n’égale le sommet esthétique du Napoléon de 1927. Longtemps disparu, le film est enfin visible depuis cet été, dans une version épique et intégrale.
C’est un projet titanesque, qui n’était longtemps qu’un rêve de cinéphile : restaurer et rendre visible dans son intégralité le Napoléon d’Abel Gance. Oeuvre monumentale de sept heures, avec certaines parties sur plusieurs écrans simultanément, Napoléon est une oeuvre monstre comme seul le
cinéma muet à son apogée savait en produire. Enfin restauré par La Cinémathèque française, grâce notamment au mécénat de Netflix, ce parangon de l’histoire cinématographique a été visible cet été à La Seine Musicale, en deux parties et sous forme d’un ciné-concert accompagné par l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le Choeur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel. Puis, il a été projeté de manière sérielle à la Cinémathèque (le premier épisode de ce découpage avait été présenté au dernier Festival de Cannes).
Napoléon, ou de son vrai titre Napoléon, vu par Abel Gance, le cinéaste se considérant comme un auteur au même titre que Balzac ou Stendhal, est l’un des tout derniers grands films du muet. S’il ne brille pas par son scénario (le rapport au personnage historique de Napoléon a bien changé depuis le début du XXe siècle), il constitue l’apogée à la fois technique et esthétique d’un genre voué à disparaître. Si Abel Gance a continué de faire des films sous l’ère du parlant (il tournera jusqu’au début des années 1970), aucun de ses longs métrages ultérieurs n’aura la folie de ses chefs-d’oeuvre muets, J’accuse (1919), La Roue (1923), et bien sûr Napoléon.Abel Gance a notamment eu l’idée géniale et unique de la projection en triptyque, qu’il nomme « polyvision » : trois écrans diffusent simultanément une image, parfois la même, répétée, parfois un autre plan. Non seulement le procédé anticipe le split-screen, que l’on retrouvera à partir des années 1960, ainsi que le format large du CinémaScope (développé au début des années 1950), mais il donne au cinéma un rythme nouveau, que la musique (ici, une nouvelle partition imaginée par Simon Cloquet-Lafollye) accompagne brillamment. Le cinéma n’aura jamais autant impressionné qu’avec les scènes les plus épiques de Napoléon.
Pour accompagner cette sortie évènementielle, les Éditions de La Table Ronde proposent un beau livre consacré au film. On y découvre de très belles photos de tournage, d’une époque si lointaine qu’on ne sait pas vraiment si les figurants sont en costume ou en habits de ville. On y voit aussi l’émouvante rencontre de deux géants du cinéma des premiers temps, Abel Gance et David W. Griffith. De plus, le livre présente de nombreux photogrammes du film, qui donnent notamment à voir tout le charisme de l’acteur principal, Albert Dieudonné, qui, près de cinquante ans après sa mort, semble connaître une nouvelle gloire. Enfin, cet ouvrage s’accompagne d’un texte passionnant, cosigné par plusieurs historiens, qui rappelle la vie de ce film de légende, de sa création hors norme à sa disparition puis sa redécouverte, fruit d’un long travail de recherche et de restauration. Une résurrection infiniment précieuse pour la mémoire collective du cinéma.
NAPOLÉON, VU PAR ABEL GANCE – EN SALLES À PARTIR DU 10 JUILLET 2024
NAPOLÉON VU PAR ABEL GANCE, OUVRAGE COLLECTIF
ÉDITIONS DE LA TABLE RONDE, MAI 2024
EDITIONSLATABLERONDE.FR