À la Milan Design Week 2025, la maison italienne tisse une ode poétique au bambou, convoquant design, mémoire et engagement durable dans un écrin Renaissance.

Un cloître, des âmes, un matériau
C’est un silence végétal, vibrant de récits, que Gucci a invité au cœur de la Milan Design Week 2025. À travers Bamboo Encounters, la Maison florentine investit les Chiostri di San Simpliciano, havre de pierre et de verdure datant du XVIe siècle, pour orchestrer un dialogue sensible entre nature, mémoire et création contemporaine. Loin d’une simple exposition, c’est un espace de résonance que propose Gucci — un lieu où le passé de la marque se tisse avec des gestes artistiques d’aujourd’hui, dans une partition aussi sensorielle que conceptuelle.
Depuis 1947, le bambou est bien plus qu’un matériau pour Gucci. Né dans un contexte de pénurie, lorsque le cuir se faisait rare après-guerre, il devint une réponse inventive, signant la naissance du sac Bamboo : une pièce devenue culte, adulée par des figures mythiques comme Ingrid Bergman, Elizabeth Taylor ou Jackie Kennedy. Dans Bamboo Encounters, cet élément souple et rigide à la fois s’élève en icône narrative. Il devient prétexte à relecture, matériau de réflexion, fibre d’un récit en constante réinvention.
Dirigée par Ippolito Pestellini Laparelli, architecte du studio 2050+, la mise en espace épouse les lignes pures du cloître pour proposer un parcours fluide, presque méditatif. Chaque œuvre y est un souffle, un battement, une tension entre la tradition artisanale et les langages du présent. Le bambou s’y fait outil de tressage culturel, catalyseur de formes nouvelles, révélateur de tensions esthétiques ou politiques.

Sept artistes, sept résonances
Les invités de Gucci ne sont pas de simples artisans du beau : ce sont des penseurs du matériau, des poètes de la matière. Chacun explore le bambou à sa façon, comme une matière vivante, un langage à la fois universel et intime.
Anton Alvarez, artiste d’origine suédoise et chilienne, déploie dans 1802251226 une sculpture majestueuse qui embrasse les courbes et la verticalité du bambou. L’œuvre, fluide et monumentale, évoque la croissance organique de la plante, ses élans imprévisibles, son mouvement silencieux — à la fois ancrée et libre, stable et sauvage.
Nathalie Du Pasquier, figure emblématique du design français, signe PASSAVENTO, un paravent rabattable aux lignes minimalistes. Elle encadre ses imprimés de soie dans des panneaux évoquant la robustesse du bambou, confrontant ainsi la force brute du végétal à la douceur tactile du textile — une juxtaposition aussi instinctive que sophistiquée.
Laurids Gallée, designer autrichien, s’inspire des échafaudages traditionnels d’Asie pour créer Scaffolding. Dans cette pièce faite de résine bleue, le bambou devient structure et illusion. L’œuvre semble suspendue dans un état de calme vibrant, de tension contenue, comme une architecture méditative.
Kite Club, collectif néerlandais formé par le designer Bertjan Pot et les photographes Liesbeth Abbenes et Maurice Scheltens, célèbre la légèreté du matériau avec Thank you, Bamboo. Leurs cerfs-volants réalisés en nylon, plastique et bambou rendent hommage à la joie simple du vol. Suspendus dans l’espace, ils dansent dans un souffle d’enfance et de liberté.
Sisan Lee, artiste et designer basé à Séoul, propose Engraved, un travail tout en délicatesse. En gravant des silhouettes de bambou dans de l’aluminium à l’aide de techniques inspirées du relief coréen traditionnel, il mêle esthétisme contemporain et mémoire culturelle. Une rencontre entre force métallique et raffinement invisible.
Dima Srouji, architecte et artiste palestinienne, imagine Hybrid Exhalations, où le verre soufflé épouse la courbe lente de paniers en bambou. Entre solidité tressée et transparence fragile, elle crée un espace de tension poétique, où cohabitent souffle ancestral et fragilité contemporaine.
Enfin, the back studio, duo composé d’Eugenio Rossi et Yaazd Contractor, explore la relation entre artisanat et haute technologie dans bamboo assemblage n.1. Alliant le bambou à des éléments high-tech et du verre cathodique froid, ils construisent un dialogue entre ancestralité et modernité, comme un pont tendu entre passé et futur.


Hybrid Exhalations by Dima Srouji
Une maison entre enracinement et futur
Avec Bamboo Encounters, Gucci affirme son rôle de passeur. La marque opère un glissement subtil : elle ne se contente plus d’exposer son héritage, elle l’ouvre à d’autres mains, d’autres cultures, d’autres gestes. Le bambou devient ici le fil conducteur d’un récit collectif, où design, engagement écologique et narration sensible s’entrelacent.
Ce projet s’inscrit dans une volonté plus large de la maison d’intégrer des pratiques durables et respectueuses, tout en tissant des liens avec des artistes issus de contextes géographiques et sociaux variés. Dans le bruissement du bambou, c’est donc aussi une vision politique qui se déploie — celle d’un luxe poreux, perméable, conscient.

Le cloître comme écrin et manifeste
Choisir les Chiostri di San Simpliciano n’est pas anodin. Ce lieu de silence et de recueillement offre un écrin méditatif à la démarche. Les voûtes de pierre, les cyprès centenaires, les ombres mouvantes du jour viennent envelopper les œuvres, les ralentir, les faire respirer. C’est un luxe rare aujourd’hui : celui du temps.
Au final, Bamboo Encounters dépasse la simple mise en scène d’un matériau iconique. C’est une réflexion sur la manière dont nous produisons, transmettons, rêvons. Gucci ne parle pas ici de produit, mais d’émotion, de lien, de soin. À l’image du bambou — creux mais fort, souple mais stable — la Maison offre un récit poreux, ouvert, vivant.
À Milan, entre les pierres d’un cloître et les gestes d’artistes d’horizons multiples, Gucci redonne au design sa puissance première : celle de relier.


Scaffolding by Laurids Gallée